La publication "Le Pays de
Dinan" 2013 a mis en lumière M.
Henri Durand, Maire de Dinan de 1925 à 1929 dans un article
de Christine et Pascal Destouches.
Le bâtiment des
bains-douches, aujourd'hui utilisé comme salle de classe par la maternelle
de La Garaye, est une oeuvre importante de cet élu.
L'aménagement de la
cantine scolaire municipale, au sous-sol de la Garaye,
est aussi à mettre à son crédit. Elle était réservée aux enfants des familles
inscrites au Bureau de bienfaisance, aux enfants des listes de l'aide médicale
gratuite et aux familles de trois enfants de moins de 18 ans. Un repas chaud
était fourni pour 0, 75 franc.
C'est l'occasion de reparler des débuts de la cantine scolaire à
Dinan...
Ecole La Garaye Dinan. Photo de la cantine 1930 |
Cette photo de 1930, nous montre les enfants et les responsables de la cantine là où elle se trouve encore de nos jours à la Garaye.
Une utopie
Déjà en 1910, dans « L’éclaireur dinannais »
le débat avait été lancé sur cette question par le Docteur Charles Pépin,
conseiller municipal : « Par ce temps de pluie, les enfants
pauvres du Bas-Bourgneuf, de Sainte-Anne et du Pont, qui fréquentent nos écoles
et qui sont obligés de rentrer chez eux pour midi, arrivent souvent à la maison
paternelle dans un état lamentable !
Est-ce qu’il ne serait pas possible de les garder, pour
leur donner un repas chaud, soit au fourneau économique soit en créant des
cantines scolaires ? J’ai déjà fait cette proposition à la séance du
Conseil Municipal de novembre 1909. Un collègue me répondit que si la théorie
était facile, la pratique était une autre affaire ».
La proposition était d'avant-garde en 1910...
En 1913, au conseil municipal du 19 avril, M.Durand relança le débat sur la création d'une cantine. Il rappela qu'en 1881 déjà, le conseil avait émis un avis favorable. C'est ce qui avait amené la création de la cantine de la maternelle. Le débat s'engagea mais le maire M. Jouanin argumenta qu'il ne suffisait pas d'avoir une cantine, il serait aussi nécessaire d'avoir du personnel pour surveiller les enfants...On remit la décision à plus tard et les années passèrent !
En 1913, au conseil municipal du 19 avril, M.Durand relança le débat sur la création d'une cantine. Il rappela qu'en 1881 déjà, le conseil avait émis un avis favorable. C'est ce qui avait amené la création de la cantine de la maternelle. Le débat s'engagea mais le maire M. Jouanin argumenta qu'il ne suffisait pas d'avoir une cantine, il serait aussi nécessaire d'avoir du personnel pour surveiller les enfants...On remit la décision à plus tard et les années passèrent !
Pendant
son court mandat (de 1925 à 1929) M. Durand concrétisera donc ce souhait
d’une cantine pour les élèves du primaire à Dinan. Mais un incident va venir
troubler la mise en place toute récente de ce service. Voyons comment un simple
menu de cantine a pu déclencher une polémique mémorable.
Du bœuf, en soupe et en ragoût
Le 6 décembre 1928, Mlle Ollivier, la Directrice de l’école
maternelle a refusé la nourriture des enfants car elle était constituée de
restes de la veille (soupe et ragoût de bœuf réchauffé). Elle a jugé que ce
n’était pas convenable pour les enfants.
Dans Ouest-éclair du 27 février 1929, le Maire écrit qu’il
faut montrer aux dinannais « jusqu’où va la mauvaise fois de la
Directrice ».
Le journal « Dinan républicain » du 29 février
1929, sous la plume d’Eugène Chapelet, conseiller municipal (socialiste) et
délégué cantonal, met de l’huile sur le feu en indiquant tous les détails de cette histoire qui
s’envenime rapidement entre la Directrice et le Maire, M. Durand. Ce dernier est
accusé de « se soucier des instructions du Préfet comme de sa première
culotte… ».
Le Maire a menacé de faire une commission d’enquête mais
quand celle-ci a été demandée au Conseil municipal, le Maire a refusé à trois
reprises de la mettre en place. Le Docteur Ollivier (homonyme sans lien de parenté
avec la Directrice) est allé sur place pour constater l’état de la nourriture
parlant d’un repas préparé d’une façon
trop grasse et avec une viande très
dure. De plus le bœuf est proposé trois jours consécutifs dans la semaine. Le
docteur préconise de le remplacer par « une morue sauce blanche avec des
pommes de terre ».
Le 7 février 1929, c’est le Docteur Remignard qui est
appelé pour donner son avis. Il préconise de son côté de remplacer le bœuf par
du « veau sous forme de rôti » mais surtout par des laitages, des
pâtes, des bouillies, des purées, des fruits secs ou en compote…
Le Maire est encore égratigné et là c’est une sardine… qui
fait déborder le vase !!! : « Il est vraiment comique de
constater que M. Durand qui a cru très fin de se plaindre en séances que Mlle
Ollivier donnait des sardines à l’huile aux enfants, a ordonné de servir ces
mêmes sardines le jeudi. »
Le 7 mars, nouvel article sur le même sujet. Quelques
précisions sont données. Tout d’abord, l’article mentionne qu’une cantine
fonctionnait déjà pour l’école maternelle de la ville située rue de la Garaye.
La nouvelle cantine répond à un besoin pour les enfants de 7 à 15 ans. On y
apprend aussi que c’est l’Inspecteur d’académie qui a demandé à la Directrice
de prendre l’avis de médecins sur la qualité de la nourriture. La diffusion de
cette information va avoir une incidence fâcheuse sur la carrière de Mlle
Ollivier. Cette campagne de presse n’est pas du tout bien vue par les autorités
de l’éducation nationale… L’Inspecteur ne tarde pas à lui notifier, et c’est
rare, un blâme administratif. L’article du journal est clairement mentionné
dans le courrier officiel accompagnant cette sanction.
Retournement de situation
Le 14 mars c’est une page entière qui revient point par
point sur cette affaire ! Le rappel des faits est présenté comme l’acte 1
d’une dramatique.
Dans l’acte 2, le Maire aurait demandé aux médecins de se
rétracter car leurs propos lui faisaient du tort.
Les lettres d’excuses des trois docteurs
Lemercier, Remignard et Ollivier sont publiées dans leur intégralité et
Eugène Chapelet en profite pour lancer des propos peu
élogieux :« Pour ses messieurs la consultation varie à la tête du
client. Il y a plusieurs vérités selon l’usage qu’on doit faire des
certificats. C’est ce qu’on appelle sans doute la conscience
professionnelle »
Le Dr Ollivier se dit lui victime « de la petite
machination astucieuse de l’école maternelle ». Il regrette amèrement
d’avoir écrit des horreurs sur la
qualité des repas..
Le Dr Lemercier dit lui aussi être tombé dans un
piège : « J’ai été appelé le 7 février à 16h par Mademoiselle
Ollivier, directrice de l’école maternelle, rue de la Garaye, pour une visite
que je croyais personnelle. A mon grand étonnement, on m’a présenté deux
gamelles de bœuf en ragoût… »
Mathilde Ollivier en 1924
Mathilde Ollivier en 1924
Nouveau rebondissement !
Troisième acte, les docteurs se rendent comptent qu’ils sont
aussi instrumentalisés par le Maire qui a publié leurs lettres. Ils réaffirment
« l’honorabilité indiscutable »
de la directrice qui ne leur a pas « extorqué » un certificat
mais leur a demandé de répondre à une enquête de l’inspecteur d’académie.
(lettre du 2 mars 1929)
M. Honoré le Dû, en commission municipale a voulu aborder le
sujet mais le Maire, très sûr de lui, aurait souhaité que cette affaire soit
traité en séance publique du conseil.
M.Chapelet termine son article sur une série de questions
qui résonnent comme un « J’accuse ». Il fait un rappel de toutes ses
interrogations…
« M. le Maire n’a-t-il pas menacé la directrice de
l’école maternelle d’une enquête et de sanctions s’il était pris à partie dans
la presse ou au Conseil municipal ? »
Et comment le Maire va-t-il se relever de cette redoutable
et dernière attaque en lien aussi avec l’école !?
« Monsieur Durand a-t-il fait approvisionner en bois de
chauffage l’école maternelle pour la saison d’hiver ? Le bois fourni par
petits paquets était-il sec ou mouillé ? ». On voit que tout est bon
pour se plaindre du premier élu…
Pour terminer
M. Durand est accusé d’être « un homme hargneux » qui prive les
enfants de leur collation (pain et confiture). Prenant à témoin les parents, le
conseiller d’opposition termine ainsi : « M.Durand préfère punir vos
enfants parce que Mme la Directrice ose défendre les bambins dont elle a la
charge et la responsabilité ».
Le 4 avril, encore un article du Dinan républicain intitulé
« De la lumière S.V.P ». Des lettres recommandées ont été envoyées au
Maire et à l’Inspecteur primaire par Eugène Chapelet qui déclare « Je ne
cèderai que lorsque justice sera rendue ».
Le Maire communique à sa façon en publiant le détail des
menus de chaque semaine dans un autre journal local, l’Union malouine. Le 9
mai, le Dinan républicain ne lâche rien
et compare les repas de la cantine tels qu’ils sont présentés par le
Maire et tels qu’ils arrivent dans l’assiette des enfants. Pommes de terre cinq
ou six fois dans la semaine et tartines de pain et de confiture à chaque
dessert, tout ça n’est pas très équilibré mais ce n’est pas ce qui choque à
l’époque. Non, le problème est que ce qui est prévu sur le menu de la semaine
n’est pas parfaitement tenu. Et c’est ce qui fait écrire à son fidèle
opposant : « Durand est, une fois, encore brouillé avec la vérité. Il
est décidément plus facile d’empêcher la mer de monter que de l’empêcher de
mentir ! »
Épilogue
La polémique finira par s’éteindre. C’est enfin en 1933 que
la directrice sera…félicitée par le représentant du Ministre, lui-même, pour
son action en faveur de l’école et
l’amélioration des conditions de la cantine en particulier !
On voit à travers cette histoire que la cantine est un
sujet sensible. Elle a d’ailleurs été à différentes époques à Dinan l’objet de
questions qui touchent aux préoccupations du moment : faire se côtoyer les
enfants du privé et ceux du public sur le même lieu ? Confier la
confection des repas à un prestataire privé ou à des employés municipaux ?
Proposer des repas de substitution pour des motifs religieux ? Du bio avec
ou sans augmentation des tarifs ?
En somme, pas seulement des questions de nourriture mais
de véritables choix de société…
Richard
Fortat
Sources
Journaux locaux consultables à la
bibliothèque municipale
Dossier administratif personnel de Mlle Ollivier, archives
départementales.
Article publié dans le Petit bleu le 6 février 2014.
Un grand merci à ce journal local pour l'attention qu'il porte à l'histoire des écoles de Dinan.
Sur le site du journal, vous pouvez télécharger toute la page en format PDF pour la lire et la transmettre à vos amis...
http://www.le-petitbleu.fr/2014/02/13/henri-durand-a-cree-la-cantine-scolaire/
Pour l’anecdote quand M. Durand termina son mandat, Mme Durand fut au centre d’une polémique où on retrouva encore Mlle Ollivier !!!
Un grand merci à ce journal local pour l'attention qu'il porte à l'histoire des écoles de Dinan.
Sur le site du journal, vous pouvez télécharger toute la page en format PDF pour la lire et la transmettre à vos amis...
http://www.le-petitbleu.fr/2014/02/13/henri-durand-a-cree-la-cantine-scolaire/
Des réactions à cet article dont celle de Marcel Boissière (voir son témoignage dans le blog en février 2010), ancien élève né en 1921:
"Merci de votre article sur la première cantine de la Garaye qui m'a bien intéressé d'autant plus que je n'avais jamais entendu parler de cet épisode ( j'étais trop jeune ) et mes parents n'y ont sans doute pas accordé d'attention. Aujourd'hui ce serait un drame qui remplirait les quotidiens de tous bords dans toute la France avec le développement des médias, dont la télé !!!
Je n'ai malheureusement pas de souvenirs précis de Mademoiselle Ollivier à part une reconnaissance infinie, bien ancrée dans ma mémoire pour sa gentillesse... mais à Dinan, elle rencontrait parfois ma mère dans les rues de la ville , après sa retraite et déjà âgée, elle lui demandait de mes nouvelles. C'est ainsi qu'elle lui apporta pour moi, la photo du " mariage breton " qu'elle avait sans doute emportée lors de son départ de la Garaye".
Histoire des cantines des écoles de Dinan. Richard Fortat dans Le Petit Bleu |
Pour l’anecdote quand M. Durand termina son mandat, Mme Durand fut au centre d’une polémique où on retrouva encore Mlle Ollivier !!!
Le premier adjoint M.Mousson, faisant fonction de Maire,
écrit le 14 décembre 1929 à l’Inspecteur d’académie concernant d’autres
troubles autour de la cantine scolaire. Dans le comité des Dames Patronnesses de
l’école se trouve Madame Durand, femme de l’ancien maire de Dinan.
La mairie veut
réunir le comité et poste des convocations. En réponse ce sont 6 démissions qui
arrivent sur le bureau du Maire. Le comité (ou ce qu’il en reste) et la mairie
se retrouvent en octobre, le premier incident éclate : « Lors de la
première réunion, Madame Durand a eu vis-à-vis de moi, qui présidais la séance,
et vis-à-vis de la municipalité de Dinan, des paroles d’une telle incorrection
qu’elles approchaient de l’injure […] il m’a fallu faire un gros effort sur
moi-même pour rester calme et ne pas me départir de la déférence due à toute
femme ». M. Mousson veut encore bien admettre que Mme Durand s’occupe de
l’œuvre des cantines des écoles privées en même temps que de celle de l’école
publique. Mais il attend alors une certaine neutralité. Cette réserve ne semble
pas convenir à Mme Durand qui montre « une activité inlassable » dans
un cas alors qu’elle dénigre l’école publique.
Mlle Ollivier rapporte aussi des faits qui se sont passés le
4 décembre 1929 quand les deux dames patronnesses, Mme Maquet et Mme Durand
sont venues à l’école maternelle. Elle fait état de menaces et d’insultes avec
pour point de départ un chou-fleur posé sur un fourneau alors qu’il ne devrait
pas y être. (On vient pourtant juste de sortir de l’histoire du bœuf !.
La mairie et l’école souhaitent la destitution de Mme Durand
mais la procédure est compliquée. L’inspecteur d’académie y voit aussi une
affaire qui peut causer des troubles. L’inspecteur départemental de Dinan
reconnaît que « tous les faits allégués par M. le premier adjoint doivent
être exacts » … « et c’est regrettable » ajoute-t-il…Il se demande si Mme Durand est
sortie de ses attributions de contrôle de l’hygiène à propos de l’affaire du
chou-fleur ?! Mais il plaide la prudence :« Il n’est à craindre
que cette révocation ne fasse beaucoup plus de bruit que l’affaire n’a
d’importance ».
C’est certainement ce qu'il adviendra car aucune pièce
nouvelle ne figure après janvier 1930 dans les archives…..
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